En moyenne, quelque 25 000 étudiants quittent chaque année le pays vers d’autres horizons. Ce phénomène a conduit les chercheurs du Cread à produire une enquête sur ses démarches et objectifs.

«Émigration estudiantine en Algérie : projet individuel et mobilisations familiales» est l’intitulé de l’étude menée par les professeurs Hocine Labdellaoui et Mohamed Saïb Musette. «Devenue aujourd’hui un segment principal de l’émigration algérienne, la migration estudiantine est une préoccupation nationale et suscite aussi bien l’intérêt des pouvoirs publics que des familles concernées.

Ces dernières tendent à devenir au cours des dernières années un acteur important de la dynamique migratoire», notent les chercheurs pour motiver le choix du sujet traité. L’étude, qui se base sur une série d’entretiens avec des parents de jeunes étudiants partis poursuivre leurs études à l’étranger, a pour finalité, comme l’expliquent les deux professeurs du Cread, d’affirmer le rôle des familles dans la migration estudiantine, la nature des rapports entre les acteurs en jeu et sur les objectifs recherchés par cet acte d’émigration.

« L’émigration estudiantine ne se limite pas à la réalisation d’un projet parental, mais elle permet une mobilité sociale importante dans la mesure où l’acquisition des diplômes à l’étranger ouvre la voie à des reconfigurations de positions de classe», notent les rédacteurs de l’étude, qui constatent que les données disponibles sur les origines sociales des étudiants algériens à l’étranger et plus particulièrement en France «confirment le développement d’une tendance  au recrutement des étudiants dans les couches moyennes». Mais avant d’arriver à ce constat, les deux professeurs se sont d’abord intéressés à la démarche de l’émigration, qualifiant l’opération de projet de départ. «Nous avons noté que la construction du projet d’émigration estudiantine est le résultat d’une décision individuelle.

Ce sont les étudiants et non leurs parents qui prennent la décision de partir à l’étranger pour poursuivre leur cursus universitaire. Il résulte de ce constat deux remarques. La première pose que le projet d’émigration, même s’il ne ressort pas d’un besoin familial, constitue une stratégie individuelle validée par la famille», est-il constaté.

En second lieu, il est établi que les projets d’émigration estudiantine ne se limitent pas seulement à l’objectif universitaire. Souvent un but intermédiaire y est associé, celui de la découverte d’une autre société.

«A la différence des premiers âges de l’émigration algérienne, l’émigration estudiantine n’a pas, ou a moins, une fonction de reproduction sociale de la famille ou de la communauté. La mobilisation des familles est destinée à permettre la transformation d’une idée individuelle à un projet  réalisable et à entretenir les possibilités de sa réalisation.

Leur rôle, qui n’est plus celui de l’exercice d’un contrôle, se transforme en soutien à l’autonomie des enfants», constatent les chercheurs, qui révèlent ainsi la volonté parentale de voir leur progéniture aller plus vers l’émancipation et l’ouverture d’esprit. Mais cela reste toutefois calibré par des garde-fous.

«Mais ce soutien à l’autonomie n’élimine pas pour autant l’autorité parentale qui s’exerce dans l’échantillon que nous avons enquêté par le jeu de la négociation sur les questions relatives à la faisabilité des projets, aux conditions de séjour et au choix de l’établissement de formation.

L’autorité parentale ne s’efface pas mais s’atténue ou change de lieu d’expression», développent les chercheurs. Après avoir passé en revue les différents phases historiques de l’émigration estudiantine d’avant et d’après indépendance, l’enquête s’est attelée à déterminer les différents facettes de cette démarche qualifiée par les auteurs de l’étude d’«action collective négociée» dans le sens où elle reste un projet individuel qui se construit en famille.  « L’analyse de contenu des entretiens exploratoires que nous avons réalisés nous permet de distinguer deux formes de mobilisation familiale», notent les rédacteurs de l’étude. Le premier type de mobilisation intervient pour soutenir la construction des projets des enfants.

«Ce sont ces derniers qui prennent la décision  de partir à l’étranger pour poursuivre leur cursus universitaire. Les parents interviennent pour permettre la concrétisation de cette décision. Leur soutien n’est pas automatique et fait suite à une négociation destinée à rechercher des garanties quant au bon déroulement du projet », analysent les professeurs Labdellaoui et Musette. L’autre type est celui dit de «négociation de la décision des enfants».

Le corpus rassemblé au cours de l’enquête exploratoire  confirme, selon les professeurs, cette articulation de la réalisation des projets sur la négociation  familiale. Parlant des projets de leurs enfants partis en France pour poursuivre leur cursus d’études universitaires, Salim (professeur d’université), Abedessamed (directeur au ministère des Finances), Abdelhalim (médecin), Sakina (femme au foyer), Tayeb (chef d’une petite entreprise) confirment que ce sont leurs enfants qui ont pris la décision de partir : «Avant tout c’est le choix de mon enfant et le soutien de la famille l’a rendu réalisable» ; «Notre fille nous a informés de son désir d’étudier à l’étranger, nous avons  immédiatement accepté»; «Nous n’avons exprimé aucune réserve et avons immédiatement exprimé notre approbation, en dépit de notre modeste situation financière…» ; «Au départ, nous étions réticents, mais  ses arguments nous ont fait changer d’avis».

Qu’elle soit acceptée facilement ou après négociation, la décision du départ doit toutefois faire l’objet de l’accord familial, c’est-à-dire des parents et éventuellement des autres membres de la famille. «Il arrive même que des proches et des personnes de l’entourage soient consultés», confirment les chercheurs, en précisant que ces négociations portent généralement sur les conditions de réalisation des projets et plus particulièrement sur les perspectives professionnelles et sociales après la fin du cursus universitaire. «La finalité négociée porte plus sur l’autonomie des enfants et surtout sur le choix d’un établissement universitaire offrant un enseignement de qualité de nature à faciliter l’accès au marché du travail sans limite de frontières.

Les attentes des enfants et celles des parents se regroupent ainsi dans l’objectif de l’acquisition d’un capital scientifique et technique garantissant une mobilité professionnelle, dans le pays d’études, dans un autre pays ou dans le pays d’origine», instruit-on. Toutefois, selon les enquêteurs, la négociation familiale prend plus d’importance dans le cas des filles.

«Pour donner leur accord définitif, les parents prennent toutes les précautions pour éviter à leurs filles toute mésaventure à l’étranger. Leur décision finale est tributaire de l’assurance qu’on leur fournit quant à l’absence de tout risque d’échec dans les études et de ce qu’ils considèrent comme de la déviance morale et sociale», développe les auteurs de l’étude pour expliquer l’importance accordée au rôle des réseaux familiaux et sociaux dans la préparation du projet à travers la collecte des informations sur sa faisabilité.

Par ailleurs, l’étude sur la migration estudiantine réalisée par les professeurs du Cread révèle que le projet d’études supérieures à l’étranger s’inscrit dans certains cas dès l’entame de la scolarisation de l’enfant. «La programmation des projets est faite par les parents, comme le confirment les déclarations des parents enquêtés», est-il noté dans l’étude, qui précise toutefois que l’investissement dans les études à l’étranger est dans ce cas un projet qui structure la scolarisation en Algérie, ce qui implique souvent le choix des établissements d’enseignement privé et l’obtention du bac français organisé en Algérie. «De l’avis de la majorité des parents, ces choix offrent plus de garanties pour la réussite des projets d’études à l’étranger», rapportent les chercheurs.

Quelle que soit la forme de sa prise de décision, l’investissement dans les études à l’étranger nécessite donc la mobilisation des réseaux de soutien. La réussite des projets  engagés dépend de cette mobilisation.

Fatma Zohra Foudil

Source : El Watan