Les députés néerlandais votent la déchéance de nationalité pour les djihadistes
Un projet du ministre néerlandais de la justice, Ard van der Steur, a été voté, mardi 24 mai, par les membres de la Chambre basse, à La Haye. Il prévoit de déchoir de leur nationalité ceux qui rejoindraient une organisation terroriste, même s’ils n’ont pas été condamnés.
Le texte, qui doit encore être voté par le Sénat, était défendu par la coalition de droite libérale et gauche socialiste au pouvoir. Il vise à empêcher le retour de personnes qui « représentent un danger pour la sécurité nationale ». Une fois privés de leur nationalité néerlandaise, ils seront déclarés « étrangers indésirables ».
L’un des problèmes soulevés par des juristes est que la nouvelle loi ne pourra s’appliquer qu’à ceux qui possèdent une double nationalité. Un million de résidents sont dans ce cas, dont 70 % d’origine extraeuropéenne. Une grande partie d’entre eux, nés à l’étranger, ou dont les parents y sont nés, ne peuvent renoncer à cette double nationalité, ce qui est proscrit par leur pays d’origine – dont le Maroc.
Projet inutile pour le Conseil d’Etat
Il sera impossible, en revanche, de déchoir un terroriste s’il est uniquement néerlandais : cela en ferait un apatride, ce qui est interdit par les traités internationaux auxquels ont souscrit les Pays-Bas. Ainsi, Victor Droste, alias Zakariya Al-Hollandi, un converti rallié à l’Etat islamique et qui a donné des interviews en mars, ne pourra être déchu de sa nationalité tandis qu’un de ses comparses d’origine marocaine ne pourra plus pénétrer dans l’espace Schengen, soulignent les juristes, Kees Groenendijk et Peter Rodrigues.
Un élu social-démocrate
Le Conseil d’Etat, un organe d’avis et de conseil auprès duquel pourra être introduit un recours éventuel par les personnes concernées, a jugé que le projet du gouvernement était inutile. D’après la haute juridiction, un terroriste qui rentrerait de Syrie ou d’Irak peut déjà être arrêté et incarcéré. Et sa nationalité peut déjà, en l’état actuel du droit, lui être retirée s’il est prouvé qu’il a participé à la préparation de délits à caractère terroriste. L’actuelle loi néerlandaise sur la déchéance de la nationalité s’applique aussi à ceux qui tueraient le roi ou se rendraient coupables d’actes de trahison en temps de guerre.
Dénoncé par la gauche radicale et le parti écologiste – le parti social-démocrate au pouvoir l’approuve, mais aimerait qu’il soit temporaire –, le texte de M. van der Steur était-il dès lors nécessaire ? Il pourrait s’appliquer « quelques fois par an », assure le ministre libéral. Quelque 160 Néerlandais, dont un quart de femmes, seraient présents en Irak et en Syrie, selon les services de renseignement. Et ceux qui, déçus par leur expérience, aimeraient rentrer aux Pays-Bas seront désormais seulement poussés à se radicaliser davantage, ont souligné des députés d’opposition.
Absence de débat
Un raisonnement qui n’a pas impressionné une majorité visiblement désireuse d’engranger une décision très symbolique, alors que l’opinion se montre très critique pour la coalition dirigée par Mark Rutte.
Celui-ci n’a, en tout cas, jamais laissé planer de doute sur le comportement à adopter à l’égard de ceux qui rejoignent des groupes djihadistes : « Il vaut mieux qu’ils décèdent en Syrie et en Irak plutôt que de revenir aux Pays-Bas », expliquait-il en 2015 lors d’un débat.
« La différence la plus frappante avec ce qui s’est déroulé en France, c’est l’absence de tout débat public sur la relation entre l’Etat et les citoyens d’origine étrangère, soulignent MM. Groenendijk et Rodrigues. Des Néerlandais d’origine immigrée verront cette loi comme la énième preuve que les pouvoirs publics les voient comme des citoyens de second rang. »
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Le contraste entre le vote intervenu à La Haye et la multiplication des débats en France, qui ont entraîné l’abandon du projet d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables de terrorisme, a été soulevé durant le débat à la deuxième chambre. « C’est à Paris que les attentats ont eu lieu, c’est ici qu’on adopte cette mesure », ironise un élu social-démocrate qui, sous le sceau de l’anonymat, a évoqué son « malaise » après le vote auquel il a pourtant participé.
Source de l’article Journal le Monde